TAPU
26 avril 1999 à PAPEETE
Terrasse du RETRO
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C’est vraiment dingue ce qui m’arrive ! Seulement quatre jours que je suis à Tahiti, et je n’ai déjà plus, ni femme, ni travail !
Après plusieurs jours de retard, j’avais enfin rendez-vous ce matin avec mon client, et l’ambiance glaciale qui régnait dans son bureau n’était pas uniquement due à l’excès de climatisation. L’accueil n’avait clairement pas été aussi chaleureux qu’à l’aéroport. Plus de couronne de fleurs, mais des traits tirés sur un visage fermé par la colère. Le client n’arborait pas non plus une de ces chemises à fleurs qui mettent en valeur la beauté de tout un peuple.
D’emblée, il m’annonce qu’il est déçu par mon comportement : alors qu’il me croyait cloué au lit, il a la mauvaise surprise d’apprendre, de la bouche même de sa secrétaire, que nous nous sommes croisés à l’autre bout de l’île, sur une pirogue. A ses yeux, je ne suis qu’un opportuniste venu passer d’agréables journées au soleil, tous frais payés. J’avais beau lui dire que je terminerai le travail dans les temps, dussé-je travailler nuit et jour pour y arriver, il n’en démordait pas.
J‘étais congédié. Il était vain de vouloir rester plus longtemps. Pas d’humeur. Je n’avais donc plus qu’à le laisser parler. Attendre la fin de l’orage. M’accrocher au regard désolé de la secrétaire, seule manifestation d’humanité dans ce déballage d’amertume. Faire ma valise et prendre le premier avion, pour tenter de redonner un sens à ma vie, ce fleuve qui n’avait plus rien de tranquille.
A cet instant précis, j’étais certain d’avoir amplement payé mes excès d’optimisme. Il s’avérera qu’une nouvelle fois, j’avais tort.
Après quelques bières, je tente de me changer les idées en déambulant au hasard des rues de Papeete. Cette capitale et ses constructions solides d’inspiration européenne tant décriée, car bétonnée, embouteillée, polluée, trône fièrement face à la mer, prête à affronter n’importe quelle tempête. Etant donné les circonstances, ce petit bout de métropole perdu au milieu de nulle part représente ma seule valeur refuge, pour l’étranger que je suis.
Etonnamment, les gens que je croise sur mon chemin s’intéressent un peu trop à moi : je ne peux pas faire un pas sans que quelqu’un ne me fixe d’un regard noir, m’invective ou me bouscule ! Pourquoi tant d’hostilité tout à coup ? J’ai la désagréable sensation d’être subitement imprégné d’une marque infamante et indélébile. J’interroge mon reflet dans une vitrine, mais n’entrevois aucune réponse.
Aussi, quelle ne fut pas ma surprise de constater que ces personnes semblent me parler, et me dire toutes la même chose ! Je sursaute à chaque fois que j’entends prononcer ce mot qui restera à jamais gravé dans ma mémoire : « TAPU ! ».
Pris de panique, j’accélère le pas et finalement me mets à courir. Je ne vois plus que des bouches autour de moi ! Des bouches qui répètent invariablement le même mot : « TAPU ! ». Délire paranoïaque ou mauvais trip ? Je ne comprends pas ce qui se passe. Je veux sortir de ce film noir digne de Fritz Lang !
Des gouttes de pluie me ramènent à la réalité de façon inespérée. Très vite, c’est le déluge. Je me réfugie trempé sous une galerie et cherche mon portefeuille dans mon sac. Putain, qu’en ai-je fait ? Je ne le retrouve plus ! Et mes papiers ? Et mon billet d’avion ? Disparus, eux aussi ! Sans même y réfléchir, je monte dans un truck. Chaque personne assise semble me dire : « t’es juste pitoyable, mec ! ».
A suivre